"Ah les belles âmes, ah les crétins !" Je ne retrouve plus – et Google pas davantage – l'auteur de cette exclamation. Disons que c'est Lao Tseu. Quand on ne sait plus, on prétend que c'est Lao Tseu. Churchill va bien aussi. Les belles âmes ont décidé de durcir le contrôle technique en remplaçant le désuet test de pollution par une moderne analyse "cinq gaz".

Le nouveau « CT » vérifiera ainsi que votre voiture respecte encore la norme de pollution Euro 1, 2, 3, 4, 5 ou 6 de son homologation. L'ancien test ignorait les polluants modernes - particules fines et dioxydes d'azote – pour ne contrôler que le monoxyde de carbone, un polluant du XXe siècle, et s'assurer que la voiture ne crache point un fumet trop opaque. Un test bénin qu'un fumigène du genre Citroën Visa hors cote passait haut le capot pour peu que l'on ait pris soin, durant trente secondes et à fond de troisième, de lui décrasser la culasse et de lui ventiler l'échappement.

Bref, voici une juste et saine mesure si l'on considère les parties urbanisées de la France, celles des grandes villes où l'on tousse dès que le soleil brille trop fort ou quand le vent reste au lit. De Lille à Marseille en passant par Rouen, Paris, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Clermont et Genpasse, on respirera un peu mieux à partir de 2017. Au prix d'une vilaine facture pour ceux qui ont bêtement « défapé » leurs diesels et des regrets amers de ceux qui choisirent un TDI 175 pour l'encrasser en centre-ville, pardon de ne pas compatir.

Reste que cette réglementation ne sera pas simple à appliquer. D'abord parce que les subtiles mesures d'homologation des normes Euro, celles qu'il faudra parvenir à reproduire chez Controlauto ou Autobilan, étaient fréquemment truquées par les constructeurs. Il y avait –et il y a peut-être encore- toutes sortes d'astuces pour que, le jour J du contrôle officiel, un moteur pas bien propre le devienne comme par miracle. Quand les tests s'opéraient capot levé, il y avait le capteur d'ouverture (de capot…) qui modifiait les lois d'allumage-injection du moteur. Et quand on rabattit le capot aux ingénieurs, ils programmèrent la centrale ABS pour qu'elle détecte les très précises séquences d'accélération et décélération du test et en informe l'électronique moteur. Il faudra envoyer les contrôleurs faire des stages dans les bureaux d'études de PSA, Renault ou Volkswagen pour leur enseigner les ficelles de l'homologation sans peine. Ou leur autoriser de très grosses marges de tolérance.

Passons au côté crétin de l'affaire : de Charleville-Mézières à Cahors, de Saint-Brieuc à Saint Raphaël en passant par Montluçon, dans cette autre moitié du pays faite de villages et rase campagne, de petites et moyennes villes, cette mesure sera parfaitement inutile.

En effet, par un étrange paradoxe que la géographie et la démographie expliquent aisément, c'est là que se rencontre l'air le plus pur et les voitures les plus polluantes. C'est aussi là que les gens ont le plus besoin de leur auto, car - faut-il le signaler ? - la ligne 13 du métro ne va pas jusqu'à Giat (Puy-de-Dome) et le tramway des Maréchaux s'arrête bien avant Golbey (Vosges).

Et c'est encore là que, par un autre cruel paradoxe aimablement justifié par l'économie, ces mêmes gens, du moins une grande part d'entre eux, ont le moins les moyens de renouveler ou entretenir lesdites autos. Dans cette France de ZX et de 306, désindustrialisée et paupérisée - mais pas polluée ! - où même le commerce et l'agriculture tirent la langue, il faudra faire partir à la casse un bon quart du parc automobile, si ce n'est plus. Car ce ne sont pas des changements de bougies, réglages d'injection ou de jeu aux soupapes qui soigneront ces bagnoles usées jusqu'aux segments. Qui payera les changements de catalyseurs ou les réfections moteur de ces vieilleries qui ne valent plus 1000, ni même 500 euros au tarif du "boncoin" ? On s'en doute, elles partiront à la casse. Sans raison valable d'ailleurs puisque, pardon pour la répétition, il n'y a, 360 jours par an, aucun souci de pollution sur ce large trois-quarts du territoire où vit une bonne moitié de la population française.

Je ne suis pas payé pour distribuer des conseils dans les cabinets ministériels, mais il est peut-être urgent de confier la définition, et pas seulement la gestion, du contrôle technique aux préfectures et sous-préfectures, dans ces lieux où le haut fonctionnaire n'a pas encore perdu tout contact avec la réalité du pays.