Dites-vous bien que pour qu’un engin vous garantisse des souvenirs mémorables pour le reste de votre vie, il ne faut pas que sa prise en main soit évidente. Non, les autos trop efficaces et trop parfaites comme l’Audi S3 évoquée en préambule sont finalement plus oubliables que les engins imparfaits éructant et tremblotant à la tenue de route tout sauf naturelle. C’est ainsi et ça n’empêche pas les Audi S3 de se vendre bien plus que les Morgan 3Wheeler. Bref, ne gaspillez pas un timbre pour me dénoncer à Audi France.


Essai vidéo - Morgan ThreeWheeler : Harley Shake
Essai vidéo - Morgan ThreeWheeler : Harley Shake


Le démarrage du 3W s’opère simplement en tournant la clé de contact, puis en soulevant la gâchette située au tableau de bord entre les 2 cadrans façon Bell&Ross et en pressant le bouton Start. Il faut insister avant que les 2 grosses gamelles s’emballent dans une sonorité qui peut évoquer celle d’une 500 Twin Air sans silencieux ou celle du motoculteur de votre voisin. Ça pétarade, ça fume et surtout ça tremble (d’où le Harley Shake, vous aviez compris), c’est ce qu’on appelle un véhicule particulièrement vivant même à l’arrêt. En mouvement, ça n’est guère mieux mais au bout de quelques kilomètres, vos fesses anesthésiées ne ressentent plus les tremblements et ce n’est que lorsque le pommeau du levier de frein à main se dévisse jusqu’à tomber sur le siège passager que vous reprenez conscience d’être dans un shaker roulant ô combien amusant. Puisque vos esgourdes sont situées 1 m au dessus des échappements latéraux, vous profitez à plein de cette ambiance guillerette qui ne provoque que des compliments. Des gens d’un certain âge vous abordent avec le sourire en qualifiant votre « mobylette » de ravissante, de jeunes gens se marrent le pouce levé même s’ils ne parviennent pas à définir de quelle marque il s’agit. Mention particulière à ce sympathique habitant du Var qui n’était pas plus gêné que ça du fait que nous l’empêchions de sortir de chez lui pour faire des photos et qui nous a lancé tout heureux :


- « Je sais ce que c’est ! C’est une Trierweiler, c’est ça ? »

- « Oui, de Hollande », lui a-t-on répondu …

Essai vidéo - Morgan ThreeWheeler : Harley Shake

J’évoquais le frein à main il y a 2 minutes, l’instrument revêt une extrême importance dans la conduite de cet engin passéiste. L’architecture du 3W avec son moteur avant et ses échappements qui s'échappent le long du suppositoire en aluminium fait que l’angle de braquage des roues avant n’a rien de fantastique. Morgan annonce 15m de diamètre de braquage, c’est énorme. Toutefois, lors de la prise en main, Chris, notre guide es Morgan nous a expliqué le maniement du frein à main particulier qui va nous servir ensuite. Lorsque vous tirez sur le levier, il n’y a pas de cran d’arrêt et si vous ne pressez pas le pommeau (celui qui se dévisse) pour bloquer le frein, le ressort de rappel remet le levier dans sa position initiale. En gros, cela fonctionne comme un frein à main hydraulique de rallye, l’analogie n’est pas exagérée car l’utilisation est identique ! En effet, en Angleterre, les tricycles Morgan participaient à nombre de rallyes et avec leur diamètre de braquage de camion, les épingles se devaient d’être négociées à l’aide du frein à main. D’où l’absence de cran d’arrêt lorsqu’on le tire pour pouvoir l'utiliser en spéciale ! Et s’il est assez compliqué de prendre les épingles de cette façon (je manque de pratique là), pour faire demi tour sans s’y prendre à 3 ou 4 fois, c’est idéal !!


Essai vidéo - Morgan ThreeWheeler : Harley Shake
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Ajoutez à cela, le bruit et le pédalier parfaitement adapté au talon pointe afin d’éviter les blocages de boîte au rétrogradage et vous conviendrez avec moi que l’univers d’utilisation du ThreeWheeler se rapproche vraiment des anciennes voitures de course !! Certes, les 115 ch ne défrisent pas vraiment mais avec seulement 500 kg à mouvoir, ils suffisent à mettre rapidement en branle tout le barda vibrant (0 à 100 km/h donné pour 6s) tandis que les 165 mm de large de la roue arrière peinent parfois à contenir les 140 Nm de couple du V-Twin. Il n’est pas rare d’encore patiner en enclenchant la 3eme si vous avez poussé les 2 premiers rapports et donc surchauffé la gomme arrière. Pour dessiner des virgules, des ronds et des ondulations sur la chaussée, il n’y a pas mieux, pour cruiser aux 185 km/h promis en pointe, je pense par contre qu’il y a mieux. Reste que tenir un bon 140 km/h de croisière n’est pas particulièrement difficile, du moment que la météo est conciliante (pas de chauffage, si ce n’est les échappements à portée de main et les 2 culasses qui peuvent servir à faire griller des paumes).


Le freinage qui n’est pas assisté requiert d’y aller franco pour ralentir mais pas trop sous peine de bloquer. L’opération de ralentissement finalement efficace se réalise de préférence bien en ligne et avec circonspection pour bien effectuer le talon pointe et ne pas bloquer la roue arrière surtout sur route mouillée où il devient très facile de partir dans les arbres le cul en avant si l'on se rate sur ce point. L’architecture en porte-à-faux avant et la faible largeur des 2 pneus avant interdisent de rentrer sur les freins en courbe et toute tentative pour le forcer se solde par un souvirage pas très engageant qui se résorbe progressivement (et pas très rapidement) au lever de pied. La direction non assistée demande un peu d’engagement physique, ce qui nécessite d’avoir le coude en l’air et hors de la voiture pour arriver à mettre l’angle nécessaire à chaque épingle. À y réfléchir, je ne suis pas sûr que conduire une Porsche 911 en marche arrière avec des pneus de 10 cm de large n’aboutirait pas au même résultat.

Avec le 3W, pour être serein, il faut tangenter façon roi de la trajectoire elliptique, on enroule sans trop casser sa vitesse et si au premier abord, on n’a pas l’impression de rouler très vite, il suffit d'être conscient que tout à coup, la circulation n'est plus constituée que de chicanes mobiles et que la voiture du cameraman disparaît en quelques secondes des rétros pour se convaincre du contraire. Autre surprise, après une petite cinquantaine de kilomètres, le dos n’est même pas attaqué par une suspension étonnamment prévenante et on sort finalement de l’obus un peu saoulé par le vent mais pas cassé par l’amortissement.

On sort surtout avec un grand sourire.


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