Contrairement à ce que laissaient entendre les déclarations de Ségolène Royal, la ministre de l'Environnement, mercredi devant l'Assemblée nationale, qui avait affirmé que les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) avaient renoncé « à la hausse des tarifs », insinuant même qu'elles étaient prêtes à s'assoir sur un quelconque « rattrapage » à la suite du blocage des prix des péages décidé fin janvier, il n'en sera rien du tout. Que les usagers s'y préparent, un rattrapage « euro pour euro » aura bien lieu, a-t-on appris ce vendredi, et ce sera bien à eux qu'il incombera de payer la note ! Peut-être pas dès cette année, ni l'an prochain, certes, mais durant cinq ans à partir de 2018, voire l'année suivante, comme évoqué un peu plus tôt par Les Echos

En pratique cela veut dire quoi ? Qu'en plus des augmentations des prix des péages annuelles, les sociétés d'autoroutes dites historiques, qui gèrent plus de 90 % du réseau autoroutier, seront bien autorisées à rajouter une hausse supplémentaire, de l'ordre de 0,40 % selon nos informations, pour compenser le manque à gagner de cette année. Quel manque à gagner ? Il ne faut pas oublier que les hausses annuelles des tarifs des péages sont en effet contractuelles, le blocage des prix décidé de manière unilatérale par le gouvernement fin janvier était donc tout à fait contraire aux contrats de concession qui le lient à ces sociétés privées. Et il va falloir accepter que celles-ci puissent donc se « rattraper » !

 

Un rattrapage en cinq ans, de l'ordre de 0,40% par an

en plus des hausses habituelles !

Et ce n'est pas tout ! L'augmentation de la redevance domaniale – le "loyer" payé par les entreprises à l'Etat pour l'occupation du domaine public –, décrétée il y a deux ans, et versée par les sociétés d'autoroutes, devra elle aussi être compensée ! Or, « la compensation, c'est l'augmentation des péages », comme l'avait reconnu fin 2014 le ministre des Finances, Michel Sapin, évoquant justement ce problème de fiscalité, compte tenu des contrats bêton « extrêmement avantageux, extrêmement bien faits » des concessions.

Conclusion : les hausses à prévoir dans les futures années sur les réseaux APRR et Area (pour Eiffage), ASF, Cofiroute et Escota (chez Vinci), puis Sanef et SAPN (du groupe Abertis) seront encore plus fortes que celles que les usagers auraient eu à subir sans cette décision de gel des tarifs cette année ! Un comble… Une fois ce contexte bien compris, la mauvaise foi dont fait preuve le gouvernement sur le sujet depuis 48 heures en est encore plus déconcertante.

La durée des concessions, avant la signature de l'accord :

ASF, jusqu'au 31 décembre 2033.

Escota, jusqu'au 31 décembre 2027.

Cofiroute, jusqu'au 31 décembre 2031.

APRR, jusqu'au 31 décembre 2032.

Area, jusqu'au 31 décembre 2032.

Sanef, jusqu'au 31 décembre 2029.

SAPN, jusqu'au 31 décembre 2029.

L'accord pourrait rallonger ces durées de deux à six ans.

Dans un communiqué publié jeudi, le Premier ministre Manuel Valls a beau parler d'une « remise à plat des contrats de concession autoroutière », grâce à laquelle « 4,2 milliards d'euros supplémentaires seront mobilisés pour l’investissement dans les infrastructures routières du pays », ce qui ressort surtout de ces tractations, c'est que les sociétés d'autoroutes ont réussi à obtenir un nouvel allongement de leurs concessions, de deux à trois ans le plus souvent, sans être tenues de revoir leur méthode de calcul dans l'élaboration des prix des péages.

« Alors que ceux-ci aujourd'hui sont indexés sur l'inflation, une formule d'indexation basée sur d'autres variables comme les coûts ou le trafic (…) serait de nature à limiter leur augmentation, voire à rendre possible leur baisse », avait pourtant fait valoir l'Autorité de la Concurrence dans son rapport explosif de septembre 2014 pour avoir parlé d'une « rentabilité exceptionnelle des SCA (…) assimilable à une rente ».

 

Des investissements promis par les sociétés d'autoroutes

en fait payés par les usagers !

En outre, les investissements que les sociétés d'autoroutes auraient fini par consentir selon le gouvernement, comme les 300 millions d'euros versés à l’Agence de financement des infrastructures de transports (Afitf) en trois ans, ressemblent à s'y méprendre aux 300 millions d'euros supplémentaires qui seront justement perçus via trois années de hausse de la redevance domaniale ! Une hausse de la fiscalité, rappelons-le, qui devra être payée pour finir par les usagers des autoroutes via les augmentations tarifaires aux péages ! Incroyable mais vrai !

En effet, la recette perçue de cette redevance domaniale, du fait de la hausse de cette taxe, passe chaque année de 180 à 290 millions d'euros. C'est donc à la louche 100 millions d'euros de plus par an (ou 300 millions en trois ans). Or, c'est ce produit de la redevance domaniale qui sert en partie à financer l'Afitf, établissement public chargé de coordonner le financement de grands projets d'infrastructures de transport… Cherchez l'erreur.

Quant aux 200 millions d'euros que les sociétés autoroutières seraient prêtes à verser pour le financement d'infrastructures de projets routiers et de transport innovants, gérés par la Caisse des dépôts et consignations, il faut bien comprendre qu'il s'agirait « d'un fonds d'investissement, et donc surtout d'un placement », prévient le député UDI, Bertrand Pancher, président de la mission d'information parlementaire sur les autoroutes. Autrement dit, un retour sur investissement est prévu, et les recettes qui seront générées reviendront bel et bien aux sociétés. Le cadeau paraît somme toute plutôt bien calculé !

Dès mercredi, à la suite des annonces de Manuel Valls, Bertrand Pancher mettait d'ailleurs en garde contre cet « écran de fumée » et cette prétendue « fermeté du gouvernement », avec le « risque sur le long terme d’être pire que le mal dont il prétend sauver les Français ». Dans l'autre camp, dans l'entourage du député PS, Jean-Paul Chanteguet, lui-même rapporteur de la mission d'information parlementaire sur les autoroutes, et qui militait pour le rachat des concessions, on ne semble pas plus rassuré et confiant. « Si ce que l'on entend se confirme, notamment que l'Etat se serait engagé à ne plus faire évoluer la fiscalité d'ici la fin de concessions, il n'y aura vraiment plus aucun espoir de faire bouger les choses ! A moins de courir le risque de n’avoir plus affaire qu’à des concessions perpétuelles », avec des durées de concessions sans cesse rallongées… Une certitude en tout cas : ça n'a pas fini de gronder à l'avenir sur le sujet des hausses des tarifs des péages !