Requiem pour la biodiversité automobile
Le triomphe du SUV sonne-t-il le glas pour toute autre forme de carrosserie? Pas forcément, mais cela supposerait que les constructeurs renouent avec un certain goût du panache.

Ainsi, Citroën s’apprêterait à faire du monospace le bras armé de son énième plan de relance. La marque caresse le projet d’un véhicule proposant deux fois trois places dans à peine plus de 4 mètres. Original... L’information, relayée par Les Echos, a suscité des sourires en coin, voire des soupirs d’incompréhension. Franchement, relancer une marque en quête de modernité avec un concept-car inspiré d’une architecture apparue dans le années 80 et disparue au cours de la décennie 2010, est-ce bien raisonnable ?
Quitte à être traduit sur le champ devant le tribunal des ringards et recevoir un « OK, boomer » d’honneur, on ne tirera pas sur l’ambulance. Remettre en selle le monospace – catégorie inaugurée par le Chrysler Voyager aux Etats-Unis en 1983 et en Europe l’année suivante par le Renault Espace – n’est pas seulement un pari passablement décalé. Cette redécouverte d’une espèce exclue de la faune automobile européenne constitue une décision salutaire.
Au même titre que la réintroduction du bouquetin ibérique dans les Pyrénées ou du phoque gris sur les plages de Picardie, une telle réhabilitation est bienvenue même s’il est peut-être trop tard. Car il suffit de parcourir le catalogue des constructeurs pour que la réalité saute aux yeux : la biodiversité automobile s’est, elle-aussi, dramatiquement ratatinée au cours des dernières décennies. Pour tout dire, cela sent le sapin.
Parmi la masse des nouveautés, combien de monospaces mais aussi de coupés, cabriolets, breaks, ludospaces ou de vrais 4x4 ? Ces types de carrosserie ont été pratiquement rayés de la gamme des généralistes. Pour rouler cheveux au vent ou parader au volant d’un coupé « de vieux beau », la seule adresse se situe désormais du côté des premiums allemands, tous hors de prix. A moins, bien sûr, de s’en remettre à une voiture ancienne blanchie sous le harnais.
Le cheptel automobile des années 2020 se résume aux SUV triomphants et aux berlines dont la part de marché fond à la vitesse des glaciers du Groënland. Entre octobre 2024 et octobre 2025, le SUV a franchi la barre de la majorité absolue (il est passé de 49 à 52 % des ventes sur le marché français) alors que la berline a perdu deux points, de 44 à 42 %. Derrière, c’est la Bérézina. Les breaks plafonnent à 5 % alors que coupés, cabriolets ou ludospaces ne dépassent pas la barre des 1 %. Les monospaces ont lâché l’affaire. AAA DATA, société spécialisée dans les statistiques, leur colle un 0 % pointé. Qui a dit que Citroën manque d’audace ?
Il y a dix ans, Renault offrait de choisir entre trois monospaces (Scénic, Grand Scénic et Espace), cinq berlines (Twingo, Clio, Mégane, Laguna, Talisman), trois breaks (Clio, Mégane, Talisman), un ludospace (Kangoo) et trois SUV (Captur, Kadjar, Koléos). Aujourd’hui, la gamme compte sept SUV (R4 E-Tech, Captur, Scénic E-Tech, Symbioz, Austral, Espace, Rafale), trois berlines (Clio, Mégane E-Tech, R5 E-Tech) et le même ludospace. En revanche, plus de trace de monospace ou de break. Le losange n’a rien d’un cas particulier. Chez Ford, la fonte des berlines a même été théorisée. Outre-Atlantique, la marque américaine ne vend plus que des SUV et la Mustang en coupé et cabriolet mais aussi en SUV-coupé électrique.
On peut clore d’emblée le débat en considérant que le client est roi et que s’il vote majoritairement SUV ou crossover, c’est bien qu’il y trouve son compte. Ou que le sentiment de rassurance provoqué par l’installation en position haute et le fait de conduire un véhicule plus massif cadre idéalement avec la psychologie d’une époque passablement angoissée. Mais on peut aussi s’inquiéter du nettoyage par le vide qu’engendre l’hégémonie du sport-utility et considérer que les SUV coupés, berlinisés voire cabriolétisés évoquent davantage le bricolage en mode OGM que la fertilisation croisée,
L’appauvrissement de l’écosystème automobile ne pose pas seulement un problème aux esthètes que nous sommes. Il suscite aussi une question de liberté de choix. Les marques, parce qu’elles ont préféré leurs marges à leurs volumes, ont encouragé la promotion d’un modèle unique qui cumule capacité d’attraction et rentabilité coquette. Une bénédiction. Sauf que le SUV ne dédaignant pas la standardisation, l’objet automobile risque de se banaliser encore davantage.
Faute d’alternative, on doit parfois acheter un SUV par défaut. Tel ce jeune couple parisien, parent de deux garçons, et qui voyant vieillir son Citroën Spacetourer envisage avec un enthousiasme extrêmement modéré d’opter pour un véhicule aux capacités d’emport bien moins généreuses. Ou cette conductrice vivant dans l’Yonne, en quête d’un break pas trop cher pour transporter le fruit de ses brocantes qu’elle risque de ne dénicher que sur le marché de l’occasion et pas forcément dans un parfait état de fraîcheur.
Comment desserrer l’étau et offrir une descendance aux Peugeot 504 Coupé, Renault Floride, Honda CRX, Opel GT, Citroën Pluriel, au vrai Land Rover Defender ou aux jolis breaks de chasse ? Ces voitures-plaisir pas toutes hors de prix faisaient vivre une formidable culture automobile en marge de la grande série. Pour renouer avec sa richesse perdue, le bestiaire automobile aurait grand besoin que les constructeurs se réconcilient avec le goût du risque. En lézardant le moule du design qu’ils se sont eux-même imposé. En osant, par exemple, explorer les marges de manœuvre stylistiques qu’offre la répartition des masses d’une voiture électrique. Rien ne dit que l’histoire des architectures automobiles a trouvé son épilogue avec l’avènement de sa majesté SUV.














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