Tout commençait si bien ce lundi 9 octobre à la station Total de Porte d'Orléans, à Paris. Les oiseaux semblaient chanter plus fort que d'habitude et les arbres faisaient joyeusement bouger leurs feuilles. Cerné par une assemblée compacte de photographes et de cameramen, un homme au très sérieux costume tente tant bien que mal de faire le plein de sa Renault Mégane sans se tâcher la manche. Pas n'importe quel homme, puisqu'il s'agit de Thierry Breton, ministre de l'économie, et pas n'importe quel plein puisque c'est de l'E85 qui coule dans le réservoir, à 0.80€ le litre, comme le précise l'affichette. Il s'agit de l'inauguration de la première pompe de E85 française.

Toute la presse sans exception a été conviée à cette occasion et les communiqués de presse sont distribués généreusement, même à Mme Michu qui promenait à ce moment son bichon maltais au coin de la rue.

On se prend donc à espérer : ça y est, enfin, ça bouge en France, on a pris un sacré retard par rapport à la Suède et aux Etats-Unis, mais là on va raccrocher les wagons. Sauf qu'il fallait lire aussi les petits caractères en bas de page. Il s'agit d'une pompe dite « de démonstration ». Dès le lendemain, les douanes débarquent et demandent à ce que tout l'E85 soit pompé et la pompe fermée. La raison ? L'opération avait été autorisée à titre exceptionnel le temps de l'inauguration mais pas plus, aucune autorisation de commercialisation n'ayant été délivrée pour ce biocarburant qui ne sait pas encore à quelle sauce fiscale il va être consommé. Circulez, il n'y a rien à voir, et revenez en janvier 2007.

A la lecture de cette nouvelle, c'est donc avec étonnement que je me dirige vers la Porte d'Orléans pour aller constater la chose de mes yeux. Caché sommairement sous des plastiques et du scotch, la pompe E85 est bien là. Le temps de prendre quelques photos et un vigile sorti de nulle part arrive en courant, me demandant gentiment mais fermement d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte. Visiblement, l'accueil de la presse s'est bien dégradé en deux semaines.

Un bien joli effet de manche de la part de Total et du ministère de l'économie qui se sont bien entendus, l'un pour se racheter une virginité écologique et l'autre pour préparer les élections dans quelques mois. Quelle tristesse...

Source : Le Canard Enchaîné