Après avoir guidé les premiers pas en compétition de Ford en 1964, John Wyer se voit écarter du programme officiel deux ans plus tard. A 57 ans, fortune faite, il pourrait songer à couler des jours heureux dans sa propriété de Provence. Mais l'homme est obstiné et il veut sa revanche sur la lourde machinerie américaine.

Triplé victorieux aux 24 Heures du Mans, championnat du monde des marques en catégorie sport... 1966 est décidément une année faste pour Ford. A grands renforts de dollars, le géant américain vient d'atteindre tous ses objectifs après deux ans de tâtonnements frisant parfois le bide retentissant. Placée déjà sous le sceau d'un inébranlable optimisme, l'aventure Ford bascule ensuite dans l'euphorie lorsque Henri Ford n'hésite pas à remettre son titre en jeu en 1967. Un programme ambitieux mais réaliste. Ford qui a déjà replié son service compétition à domicile après les échecs de 1964, décide de se concentrer uniquement sur ses gros prototypes à moteurs 7 litres et de fermer son antenne britannique-Ford Advanced Vehicles-chargée de la production de la GT 40. Basée à Slough, dans la banlieue ouest de Londres, FAV c'est le refuge de John Wyer, pionnier... en disgrâce de l'épopée Ford.

Le goût pour l'indépendance et le franc-parler de l'ancien directeur sportif de la grande équipe Aston Martin n'ont été que peu apprécié dans les hautes sphères de Detroit. Partisan d'une progression méthodique et d'une gestion sportive rigoureuse, Wyer est tombé en désaccord total avec ses partenaires américains dès la fin de la désastreuse saison 1964. Ces derniers voulaient des résultats immédiats pour le prestige de la marque. Ils raisonnaient en terme de marketting et n'avaient que faire des conseils un peu hautains de cet Anglais d'un autre temps. Les dollars, la haute technologie, l'informatique et la puissance des bons vieux V8 de 7 litres pouvaient remplacer à leurs yeux une connaissance pourtant rare de la course. Les millions investis dans un programme de "gros moteurs", la constitution d'une véritable flotte de prototypes et des centaines d'heures d'essais vont s'avérer finalement payants.

C'est ainsi qu'avec l'aide la-grosse-cavalerie, Ford va transformer son troisième essai au Mans en un triomphe. Un triomphe qui ne convainc pas totalement un John Wyer toujours persuadé qu'un résultat comparable aurait pu être obtenu avec un budget beaucoup plus raisonnable. Dépossédé de ses prérogatives sportives au profit de Caroll Shelby, Wyer concentre depuis 1965 tous ses efforts sur la mise au point de la GT 40 dans son antre de Slough et reste convaincu de son formidable potentiel. Puissante et rapide, elle manque cependant d'endurance et aucune d'entre elles n'ont été encore en mesure de terminer les 24 Heures du Mans. Or Wyer, possède une partie de la solution pour éviter les ruptures endémiques de joint de culasse: faire du V8 un vrai moteur de course en augmentant sa cylindrée et le coiffer d'une nouvelle culasse. Ford qui accorde la priorité à son programme de "gros moteurs" fait la sourde oreille et conseille même à Wyer de ne plus interférer dans la logistique américaine. Dans un climat plus que tendu, Wyer n'en continue pas moins à soigner la préparation des GT 40 de certaines écuries privées-Team Essex Wire et Ford France-dont les bons résultats vont offrir à Ford le titre mondial 1966 en catégorie sport. Une consécration qui n'efface pas les rancunes tenaces entre les deux parties mais qui permet au moins de rétablir le dialogue pour un divorce à l'amiable.

Naissance du Team John Wyer

A la fin de l'année 66, Wyer se voit ainsi proposer le rachat de Ford advanced Vehicles à un tarif préférentiel. Un marché placé sous certaines conditions: au sein de sa nouvelle société, Wyer doit s'engager à poursuivre la maintenance des GT 40 "Sport" qu'il s'agisse du programme de construction toujours en cours ou de l'assistance aux clients sportifs, ainsi que de la production des "MkIII" à usage routier. Le temps de s'entendre puis de s'associer avec John Willment, riche propriétaire d'une écurie de course, et la "J.W. Engineering Ltd" remplaçait à Slough la F.A.V. dès le 1er janvier 1967. Pour la construction et la maintenance du programme GT 40, l'appui logistique et financier de Ford est toujours assuré mais si la nouvelle société veut s'impliquer en compétition, en alignant ses propres voitures baptisées Mirage, à elle de trouver les budgets.

Wyer reprend alors contact avec Grady Davis, vice-président de la Gulf Oil. Ancien pilote et principal mécène d'une écurie de Corvette, ce dernier est aussi l'heureux propriétaire d'une GT 40 "Street" dont il est venu prendre livraison à Slough au printemps 66. A cette occasion, il avait proposé à Wyer de lui établir un projet de financement pour une saison internationale destinée à valoriser l'image de Gulf. Convaincu par le réalisme et la modestie de l'investissement, Davis obtient rapidement le feu vert de son conseil d'administration mais insiste pour que la nouvelle écurie débute dès les 24 heures de Daytona le 4 février 1967. Face à l'impossibilité d'engager dans un délai aussi court les nouvelles Mirage, Davis propose à Wyer d'aligner sa voiture personnelle à Daytona. Décorée d'une large bande orange sur toute sa longueur, la GT 40 bleu nuit de Davis va faire la "course de sa vie". Pilotée par Ickx et Thompson, le GT 40 "Street" à peine adaptée à la compétition termine 6e, enlève la victoire en catégorie Sport et sauve l'honneur américain après la déroute des Ford 7 litres. Après une seconde sortie moins heureuse à Sebring, la GT 40 retourne à la vie civile alors que les Mirage entrent en piste.

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