Polémique, débat, nouvelle loi, Caradisiac clarifie la situation dans sa rubrique « Question de droit ». Avec la collaboration de Maitre Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs.

Question de droit 

« S’il n’y a pas de retrait de point(s) quand les véhicules de société sont flashés par les radars, c’est la faute aux patrons qui ne dénoncent pas leurs salariés ! » C’est en substance le message que la Sécurité routière entend faire passer depuis plusieurs mois. Info ou intox ?

 

La réponse de Caradisiac en bref

Grosse intox ! C'est l'administration, la fautive de ce bug ! Car « le patron, à qui normalement est adressé un PV-radar, en tant que représentant légal de la société propriétaire du véhicule flashé, et qui le paie sans sourciller, reconnaît dès lors sa culpabilité », explique Me Tichit. De la même façon qu'un propriétaire d'une voiture particulière avoue sa faute quand il règle sa contravention reçue par La Poste. Et dans les deux cas de figure, en procédant ainsi, « théoriquement le retrait de point(s) s'ensuit de manière automatique », précise encore Caroline Tichit. Sauf que, comme on le sait désormais; ce n'est absolument pas systématique quand il s'agit de véhicules de société, alors que ça l'est quasiment toujours avec les voitures particulières...


Si vous souhaitez approfondir le sujet...

La problématique

Selon un rapport parlementaire publié en 2011, près de 15 % des véhicules qui circulent en France sont détenus par une personne morale, soit par une entreprise ou une administration. Et toujours, selon ce rapport, « il n’existe aucune obligation, pour ces dernières, d’indiquer qui conduisait leur véhicule, en cas d’infraction relevée par le dispositif de CSA [contrôle-sanction automatisé, NDLR] », ce qui est tout à fait vrai, et la même règle s'applique aussi aux propriétaires des voitures particulières... Mais là où cela dérape, c'est quand les députés et sénateurs en concluent que les entreprises concernées ne sont dès lors que « passibles d’une amende, aucun retrait de point n’étant effectué ». Une injustice également confirmée par le procureur de la République de Rennes : « Je ne peux (...) passer sous silence l’attitude de certaines entreprises qui, en refusant de désigner les conducteurs fautifs, leur permettent de se soustraire à leurs responsabilités. Reste la sanction pécuniaire, dont l’assez modeste montant est peu dissuasif. Il y a là une défaillance choquante ». Ce qui est donné une interprétation de la réalité tout à fait biaisée (nous y revenons plus loin) !

 

Les solutions envisagées par le gouvernement

A n’en pas douter, il en sera question lors du conseil interministériel de la Sécurité routière (CISR) prévu vendredi, ce 2 octobre, sous la présidence du Premier ministre, Manuel Valls, et dont le but sera de redéfinir la politique de sécurité routière en France. Car « l’égalité des citoyens face au contrôle-sanction », est de fait loin d’être parfaite en effet. En outre, Bernard Cazeneuve a d'ores et déjà annoncé qu'il entendait remédier à cette défaillance.

Le ministre de l'Intérieur a ainsi déclaré qu'il agirait afin qu’il n’y ait « plus de possibilité – notamment pour les administrations – d’échapper à la sanction quand il y a une contravention ». Pour se faire, il a évoqué trois solutions :

  • 1. « La traçabilité des conducteurs », en incitant les titulaires des certificats d'immatriculation à désigner les conducteurs responsables au moment des faits. Comment ? Par exemple, dixit encore le ministre de l'Intérieur lui-même, « en rappelant sur les avis de contravention que les personnes morales [autrement dit les entreprises, NDLR] ne peuvent se substituer aux personnes physiques pour l’acquittement des amendes qui, comme les éventuels retraits de points de permis, s’appliquent au conducteur en infraction ».
  • 2. « Exiger, lors de la demande de certification d’immatriculation d’un véhicule, la désignation d’une personne titulaire du permis de conduire (...). Cette personne sera responsable en cas d’infraction constatée, à défaut d’identification du conducteur en infraction ».
  • 3. « Lutter contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé, notamment en déployant des radars double-face qui permettront aux enquêteurs de mieux identifier les auteurs des infractions ».


L'avis de Caradisiac : « De la propagande pure » !

Pour ce qui est des deux premiers points, c'est méconnaître grandement la réalité du système mis en place depuis 2003. Car les avis de contravention envoyés à la suite d'un flash de radar sont rédigés de telle sorte qu'ils font déjà peser sur la personne destinataire de ces PV une présomption de culpabilité. C'est « de la propagande pure que de sous-entendre autre chose ! », s'énerve Me Tichit. Si bien que dès que ces contraventions sont réglées, sans contestation – c'est ce qui se passe dans la très grosse majorité des cas (80 % des PV sont réglés spontanément) –, un patron (destinataire des PV) doit théoriquement, comme un propriétaire lambda, subir les retraits de point(s) correspondants. Et si tel n'est pas le cas aujourd'hui, ce n'est absolument pas sa faute, ni parce qu'il n'a pas réclamé quoi que ce soit, comme par exemple dénoncé l'un de ses salariés. C'est parce que l'administration n'arrive pas à lier automatiquement son permis de conduire à la contravention concernée, contrairement à ce qu'elle réussit à faire quand il s'agit d'un propriétaire classique.


Ce que dit la loi

Asséner qu'il suffirait de dénoncer les salariés pour régler le problème, c'est aussi faire une interprétation bien erronée des textes... C'est même très périlleux, car si la dénonciation d'un tiers devenait systématique ce serait risquer de ne plus pouvoir encaisser les amendes au titre des propriétaires-payeurs. L'article L121-3 du code de la Route, auquel il faut se référer en pareils cas, est on ne peut plus clair, les seuls redevables pécuniaires sont :

  • 1. les propriétaires des véhicules particuliers ou plus exactement les titulaires des certificats d'immatriculation,
  • 2. les représentants légaux des personnes morales quand ces titulaires des certificats d'immatriculation sont des entreprises ou même des administrations,
  • 3. les locataires quand il s'agit de véhicules loués.

Autrement dit, quand la photo du radar ne permet pas d'identifier le conducteur, ce qui est plus que courant puisqu'il est rarissime d'avoir des clichés pris de face permettant de reconnaître les véritables fautifs, un propriétaire, un patron ou encore un locataire qui clame son innocence reste « redevable pécuniaire ». Il ne peut échapper au paiement d'une amende, à moins qu'il n'apporte les preuves de son innocence (pour ce qui est du seul propriétaire lambda) ou « à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction »... Seul le retrait de point(s) lui est évité puisque qu'il n'y a aucune preuve de sa culpabilité, et qu'en aucun cas, il ne peut donc être reconnu coupable pénalement.

 

Mais ce n'est plus du tout le cas pour un salarié dénoncé par son patron ! Si celui-ci conteste être le conducteur au moment des faits, qu'il n'existe aucune preuve de sa culpabilité (les photos radars ne permettant généralement pas d'identifier les véritables responsables, répétons-le), le salarié concerné ne peut qu'être relaxé totalement. Il n'est en effet ni titulaire du certificat d'immatriculation, ni représentant légal d'une société, ni locataire... Sans preuve de sa culpabilité, il suffit qu'il conteste (sans qu'il ait à apporter de son côté la moindre preuve de son innocence) pour être entièrement relaxé ! En aucun cas, il ne peut écoper d'une amende, contrairement donc à ce qui se passe avec un propriétaire lambda, un patron ou même un locataire. Et forcément, il ne peut davantage subir une perte de point(s).

Conclusion : obliger les patrons à dénoncer leurs salariés, c'est carrément prendre le risque d'anéantir le système des radars automatiques ! L'intention du gouvernement est peut-être alors de modifier les textes en vigueur afin de rendre le système encore plus dérogatoire au droit pénal à ce qu'il est actuellement. « Je ne vois quand même pas très bien comment cela serait possible et comment le législateur pourrait s'y prendre », commente Caroline Tichit. Mais ne serait-il pas possible d'ajouter les salariés à cette liste des redevables pécuniaires ? Ce ne serait pas impossible... Reste que ces salariés pourraient toujours continuer à échapper aux retraits de point(s) ! Cela ne réglerait donc pas forcément le problème...


Les vrais coupables un jour identifiés ? Pas dit...

Pour ce qui des radars double-face, ces radars de vitesse non encore homologués et qui devraient bientôt l'être pour pouvoir être déployés, ils ont cette particularité de prendre deux types de photos des véhicules détectés en excès de vitesse : une par l'arrière, une par l'avant. Mais il est loin d'être assuré que celles prises par l'avant permettront de bien identifier les conducteurs.

Il existe encore un fort pourcentage de déchets (38%) dans le cadre du contrôle automatique. Toutes les photos prises par les radars ne sont pas transformées en contraventions. Il y a bien sûr les photographies de face des deux-roues. Comme ils n'ont qu'une plaque d'immatriculation, installée à l'arrière, forcément ces clichés sont voués à finir à la poubelle. Il y a aussi les photos de véhicules étrangers avec lesquels l'échange d'informations n'est pas (encore) actif.

Mais il y a aussi des photos arrière mal prises, qui ne permettent pas de lire correctement les numéros d'immatriculation (qu'il s'agisse de véhicules particuliers, de société ou même de deux roues). Doubler l'angle de la photographie, en prenant aussi par l'avant (en plus de l'arrière), cela aura l'avantage de renforcer la lisibilité des immatriculations et donc de diminuer le nombre de rebuts. Il reste ainsi à confirmer que les photos avant de ces radars double-face viseront surtout le conducteur plutôt que la plaque minéralogique...